23 Mar 20 mars 2022 : Journée mondiale de la francophonie
Point sur la réforme de la Loi 101 et la langue d’enseignement collégial
En cette journée mondiale du français, l’occasion est belle pour faire le point sur la réforme de la Loi 101 et la question de la langue d’enseignement collégial.
On a assisté récemment à Québec à l’étude des articles du projet de loi 96 portant sur la langue d’enseignement collégial. Pour comprendre ces articles, il faut remonter en arrière. En 1977, lors de l’adoption de la loi 101, le gouvernement a limité l’accès aux écoles anglaises, parce qu’avant presque tous les immigrants choisissaient les écoles anglaises et s’anglicisaient pas la suite. Grâce à cette limite, beaucoup d’immigrants sont allés à l’école française et ont ensuite travaillé en français. Or, depuis tout a changé, car beaucoup plus de gens fréquentent le cégep avant d’aller sur le marché du travail alors que la loi 101 ne s’applique pas au cégep. Et des études ont démontré que les gens qui ont fréquenté les cégeps anglais sont beaucoup plus nombreux à travailler en anglais et à consommer exclusivement des produits culturels en anglais. C’est pourquoi plusieurs groupes de défense du français réclament de limiter l’accès aux cégeps anglais aux seuls anglophones.
Le gouvernement de la CAQ n’a pas proposé cela. Dans son projet de loi, il a d’abord proposé de limiter la croissance des cégeps anglais, qui depuis le milieu des années 90 vont chercher une proportion grandissante des étudiants, et ce au détriment des cégeps français. Cependant, depuis le dépôt du projet de loi le contexte a changé, car le PQ, plusieurs chroniqueurs influents et plus d’une dizaine de syndicats de professeurs de cégeps ont pris position pour l’application de la loi 101 au cégep, autrement dit, pour faire en sorte que seuls les anglophones aient un accès subventionné au cégep anglais, comme c’est le cas pour les écoles primaires et secondaires anglaises. Pourquoi ces syndicats prennent-ils cette position ? Pour défendre le français, certes. Mais aussi pour défendre leurs emplois. Parce qu’au rythme où vont les choses, en l’absence de mesures, il y aura toujours une moins grande proportion d’étudiants dans les cégeps français et donc une moins grande proportion de professeurs dans les cégeps français. C’est pour cela aussi que le PQ a fini par prendre cette position. Et il a poussé pour que la CAQ fasse de même… en vain.
La CAQ a plutôt proposé un compromis, qui renforce sa position de départ, sans toutefois aller jusqu’à appliquer la loi 101 au cégep. Le gouvernement a décidé non plus seulement de limiter la croissance des cégeps anglais, mais de la geler carrément. Ensuite, elle a ajouté qu’il devrait y avoir trois cours en français obligatoires dans un parcours au cégep anglais. Pas trois cours de français langue seconde, non, plutôt trois cours de disciplines comme la philosophie ou l’histoire en français. C’est une mesure majeure qui va bilinguiser plus d’anglophones et d’allophones qui pourront ensuite travailler plus facilement en français. Cependant, c’est un peu à côté de la plaque, car le problème avec le français au Québec ce n’est pas que les Anglophones ne sont pas bilingues, le problème c’est que la proportion de francophones diminue. Donc, ce qu’il faut faire c’est franciser des allophones, et non pas seulement bilinguiser des anglophones.
Par contre, une autre mesure prévue par le gouvernement m’apparaît plus porteuse, c’est l’imposition d’un examen, appelé l’épreuve uniforme de français, aux étudiants francophones et allophones des cégeps anglais. C’est intéressant parce que cela va faire en sorte que beaucoup de francophones et d’allophones vont y penser deux fois avant d’aller au cégep anglais, parce que même avec trois cours en français ce ne sera pas évident de réussir cet examen. Donc, c’est un peu une façon d’atteindre l’objectif que viserait l’application de la loi 101 au cégep, tout en tant moins intéressant, parce que cela permettra quand même aux francophones et allophones les plus doués d’aller dans les cégeps anglais, qui demeureront donc des cégeps de première classe, alors que les cégeps français demeureront trop souvent des cégeps de 2e classe.
Espérons que dans trois ou quatre ans le gouvernement évaluera l’effet de ses mesures sur le français langue d’enseignement collégial… et au besoin envisagera l’application de la loi 101 au cégep.
Guillaume Rousseau
Professeur et directeur des programmes de droit et politique appliqués de l’État à l’Université de Sherbrooke