La Journée nationale de la laïcité – Édition 2022

La Journée nationale de la laïcité – Édition 2022

La Journée nationale de la laïcité et la Loi sur la laïcité de l’État au Québec

La France célèbre, chaque 9 décembre depuis 2015, la Journée nationale de la laïcité. Il s’agit d’un temps fort qui permet de promouvoir la laïcité au sein des écoles et établissements scolaires qui ont pour mission d’en transmettre les principes fondateurs aux élèves. Cela fait 117 ans que le port de signes religieux est interdit en France pour tous les représentants de l’État.

L’histoire, plus récente, de la laïcité de l’État au Québec est le fruit d’un effort hors du commun porté par des femmes et des hommes ayant à cœur la liberté de conscience de tous et chacun et le droit des femmes à l’égalité. La Journée nationale de la laïcité en France est l’occasion d’en parler et d’apaiser certaines craintes suscitées par la Loi sur la laïcité de l’État (Loi 21) ici au Québec. Mais d’abord, un peu d’histoire.

Histoire de la laïcité au Québec
Cette histoire a pris son essor à la Révolution tranquille, dont l’une des premières réalisations fût la prise en charge de l’éducation par les autorités publiques et laïques via la création d’un ministère de l’Éducation. Il s’en est suivi, la déconfessionnalisation des commissions scolaires et la refonte du curriculum scolaire québécois. Ces initiatives reflétaient une préoccupation grandissante des Québécoises et des Québécois pour le pluralisme sociétal et une volonté de neutraliser le prosélytisme religieux auprès des jeunes esprits non consentants. L’État reconnaissait ainsi aux parents le droit d’offrir à leurs enfants un enseignement non confessionnel, respectueux de leur liberté de conscience et de celle de leurs enfants. Mais ce ne fût pas suffisant.

Au début des années 2000, le choc des accommodements consentis sur des bases culturelles ou religieuses se fait ressentir. Plusieurs d’entre eux ont heurté les valeurs d’égalité entre les sexes tant prisées par les Québécoises et les Québécois, ce qui a donné lieu à la fameuse Commission Bouchard-Taylor en 2007. Cette dernière recommandait l’interdiction du port de signes religieux pour certains agents de l’État.
Depuis, la question de la laïcité de l’État s’est imposée dans chacune des campagnes électorales qui ont suivies, jusqu’à l’adoption de la Loi 21 en 2019.

La Loi sur la laïcité de l’État
Aussitôt adoptée, la Loi 21, qui interdit le port de signes religieux par les représentants de l’État en position d’autorité (incluant pour les enseignantes et les enseignants), soulève des craintes. En voici quelques exemples :

La loi vise davantage les femmes immigrantes puisqu’elles sont plus croyantes et pratiquantes que les Québécoises d’origine
Selon la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, les personnes immigrantes n‘ont pas plus de “ferveur religieuse” que les personnes nées au Québec et elles ne demandent pas plus d‘accommodements religieux non plus. (Eid, 2007) Ainsi, ce sont les personnes ayant une grande « ferveur religieuse » qui risquent d’être plus enclines à vouloir, à tout prix, manifester leur foi durant leur travail.

La loi « pénalise » davantage les femmes que les hommes
C’est plutôt la disparité du port de signes religieux entre les sexes, inhérents aux différentes religions, qui fait en sorte que la loi pourrait avoir un impact différent sur les femmes ou sur les hommes. Dans la religion musulmane, par exemple, ce sont les femmes qui portent davantage de signes religieux visibles (ex. le hijab). Or, ce n’est pas la loi qui discrimine, mais les exigences religieuses sexistes.

Les signes religieux à l’école facilitent l’intégration des jeunes immigrants
L’État québécois est laïque et fondé sur l’égalité entre les femmes et les hommes. Pour faciliter l’intégration des jeunes immigrants à leur nouvel environnement, il convient de leur offrir un milieu d’apprentissage qui reflète cette réalité. Le jeune immigrant doit donc apprendre que c’est, en tant que citoyen, qu’il reçoit des services publics et que tous les êtres sont égaux. L’école publique a aussi la responsabilité de promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes. Tolérer des symboles sexistes arborés par ses employés, qui constituent des modèles et des figures d’autorité pour les jeunes, serait, en ce sens, contradictoire.

L’uniforme et l’insigne des policiers, de même que la toge des magistrats sont des symboles suffisamment forts pour rassurer le public quant à leur impartialité
L’uniforme revêt une valeur symbolique indéniable. Le fait qu’un policier ou un magistrat affiche sa foi dans l’exercice de ses fonctions laisse toutefois supposer qu’il pourrait appliquer les règles de droit à travers le prisme de ses valeurs religieuses. Il pourrait donc y avoir apparence de conflit d’intérêts. De plus, lorsqu’une intervention ou une cause judiciaire concerne les droits des femmes (violences conjugales, héritage, règlement de divorce …), le port de signes religieux véhiculant des valeurs sexistes pourrait raisonnablement entacher la confiance des femmes mises en cause envers un traitement ou jugement impartial.

La loi crée un obstacle supplémentaire à l’autonomisation des Québécoises de confession musulmane
La Loi 21 s’applique à un nombre limité de postes de la fonction publique et parapublique. Ce sont les employés adoptant une version rigoriste de leurs croyances religieuses (par exemple ceux refusant de retirer leur signe religieux pendant leurs heures de travail) qui s’excluent des postes visés par la Loi. L’exigence de retirer temporairement ses signes religieux est certes malheureuse pour ces personnes, mais c’est là une conséquence de leur choix et non pas le but visé.

La Loi sur l’instruction publique est suffisante pour prévenir le prosélytisme religieux
Force est de constater que la Loi sur l’instruction publique n’a pas empêché le port de signes religieux par le personnel enseignant pour protéger la liberté de conscience des élèves. L’experte Yolande Geadah souligne l’importance de protéger les fillettes de culture musulmane des pressions de la communauté islamique pour porter le voile. Selon elle, les « preuves tangibles de cette violation ne sont pas faciles à obtenir, car les fillettes et les femmes musulmanes soumises à ces pressions n’osent pas la dénoncer au grand jour, de peur d’être ostracisées par leur communauté. C’est ainsi que seule la voix de celles qui revendiquent le port du voile réussit à se faire entendre, alors que celles (plus nombreuses) qui subissent des pressions pour le porter sont ignorées. » (Geadah, 2007)

La laïcité vise l’abolition ou l’interdiction des religions
Au contraire, la Loi 21 a été conçue pour préserver la liberté de conscience et de religion des citoyennes et citoyens. Elle ne force pas qui que ce soit à renoncer à sa religion et à cesser de l’exposer dans l’espace public. Elle impose tout simplement à des juges, des policiers et des enseignants de ranger leurs signes religieux durant leurs quarts de travail. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyennes et citoyens, sans distinction d’origine ou de religion, dans des domaines où l’impartialité et la confiance dans l’État et sa mission sont indispensables. Elle permet de protéger à la fois la liberté de conscience et la liberté religieuse de ses citoyens et de ses citoyennes. Elle permet aussi de créer un espace public libre des pratiques et symboles religieux ou culturels sexistes.

Conclusion
Le livre La petite histoire de la Loi sur la laïcité de l’État et de sa contestation juridique (Éditions du Renouveau québécois, 2022) relate les efforts de la société civile pour se doter d’une société laïque tout en apportant des réponses à certaines appréhensions soulevées à l’égard de la Loi 21. Ces efforts doivent être soulignés, en cette Journée nationale de la laïcité.

Marie-Claude Girard,
Retraitée de la Commission canadienne des droits de la personne

 

Citations :
1 Eid, Paul; La ferveur religieuse et les demandes d’accommodement religieux : une comparaison intergroupe; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse Cat. 2.120-4.21; Décembre 2007.
2 Geadah, Yolande; Droit à la différence et non différence des droits, VLB éditeur, 2007, p.73-74.

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