27 Mar 27 mars 2022 : Journée mondiale du théâtre
La Journée mondiale du Théâtre a été proposée, en 1961, lors du IXe Congrès mondial de l’Institut international du théâtre. Ce festival, « Le théâtre des nations » a débuté le 27 mars 1962 soutenu par l’UNESCO.
En cette journée mondiale du théâtre 2022
Mes pensées se tournent vers ces artistes de tous les continents
Particulièrement vers tous ceux et toutes celles qui se battent avec leur art, et avec leur population, pour un monde meilleur.
Puis, vers ces milliers de personnes réfugiés dans un théâtre ukrainien
Un théâtre comme lieu de refuge contre la guerre
Pour se protéger de la bêtise humaine
Pour ne pas disparaître
Un théâtre en guise d’espoir
En guise d’appel à la paix
Le Théâtre c’est la rencontre
La question posée
Les cris du cœur
L’indignation
L’émotion, vibrante
Comme des directs au cœur
Le Théâtre c’est être ensemble
Pour incarner le vivant
En République Démocratique du Congo (RDC), en 2005, j’ai été invitée à travailler avec des artistes du théâtre congolais et l’Institut National des arts de Kinshasa. Comment pouvions-nous conjuguer nos différentes méthodes de créations théâtrales pour les rendre encore utiles dans un contexte de guerre ? Comment le théâtre peut-il aider les personnes victimes de la guerre à être entendues ? À résister ? À espérer ? Si l’idée était louable, sa réalisation, elle, fut plus difficile. Il y aurait tellement à dire sur ce que nous avons appris ensemble.
Après cela, je me suis rendue dans des camps de réfugiés angolais. Je souhaitais savoir si les arts jouaient un rôle important dans les camps. Si oui, comment ? J’avais tellement de questions. D’où venez-vous ? De la guerre en Angola. Depuis combien de temps êtes-vous ici ? Quatorze ans. Et vos enfants ? Ils sont nés dans le camp. Y a-t-il un retour possible dans votre pays d’origine ? Non, les champs que nous cultivons sont minés. Comment cela se passe-t-il avec vos familles qui sont restées là-bas ? Est-ce que la danse, la musique, le chant, le théâtre sont pratiqués dans le camp ? Pour qui ? Je recommence dans un autre camp. Et un autre. La dernière journée, un jeune homme s’approche de moi. Il s’était fabriqué une guitare avec un contenant d’huile qu’il a remodelé et auquel il a ajouté un manche en bois, un pont, trois cordes et des chevilles pour les ajuster. Est-ce que tu accepterais d’en jouer? Il me sourit, pris le temps d’accorder son instrument. Puis, il s’est mis à jouer. Des enfants se sont regroupés autour de lui. Puis les mères arrivèrent. Et les pères. Une femme commença à chanter, puis d’autres s’ajoutèrent, en polyphonie. La guitare les accompagnait d’un rythme soutenu, d’une main assurée.
Le temps venait de s’arrêter.
Des voix s’élevaient pour chanter leur cantique des cantiques : celui d’un peuple réfugié qui appelle à la paix, à la réconciliation et à la liberté.
Celui qui porte l’espoir, encore.
Il n’y avait pas de mots.
C’est à cela que servent les arts.
Plus tard, en 2017, toujours en RDC pour la création de Bongo Té, Tika en coécriture avec Marie-Louise Bibish Mumbu et une équipe d’artistes congolais, l’un d’entre eux nous dira : « … La bombe atomique n’a pas résolu le problème des conflits, mais nous avec le théâtre, dans une certaine mesure, on essai quand même de dire les choses de manière tranchante, choquante, provocante même. Le théâtre c’est le “choc”. Et quand on choque, c’est au niveau de la conscience que ça se passe. Il suffit seulement qu’on se dise : Moi je fais ça ? C’est déjà un début de changement.
Et on se bat pour ça. »
En Haïti, en 2010, je suis invitée à rejoindre une équipe de théâtre haïtienne afin de jumeler nos processus de création théâtrale pour faire en sorte que le théâtre puisse contribuer à la reconstruction en donnant une voix à celles et ceux qui avaient tout perdu. Simultanément, ici à Montréal avec la Maison d’Haïti et en Haïti, nous nous sommes mis en marche. C’est seulement quelques mois après le séisme que je suis arrivée en Haïti la première fois. Devant cette désolation, je me demandais vraiment ce que nous artistes du théâtre, et moi en particulier, nous pouvions faire. Et mes collègues haïtiennes de me répondre aussitôt : « Tout. Nous avons tout, nous avons les arts et la culture. »
Ensemble, nous nous sommes rendues dans les camps de réfugiés de Port-au-Prince à Léogane pour les inviter à contribuer à la création. L’accueil nous a rapidement témoigné des conditions impossibles de survie. Madame, qu’avez-vous à nous donner ? Silence. Je n’ai rien à vous donner pour améliorer vos conditions dans ce camp. Silence. Nous avons besoin de vos mots, de vos histoires. Et qu’en ferez-vous ? D’autres voix s’élèvent. Plusieurs parmi nous ont déjà été tués dans ce pays pour avoir raconté leur histoire. Les histoires que vous allez nous livrer resteront anonymes, personne ne saura de qui elles proviennent. Et nous, nous nous engageons à les porter à la scène. C’est ce que nous pouvons vous offrir, vous donner la parole avec notre théâtre. Long silence. Des regards croisés. Puis, les crayons lèvent et se déposent sur leur carnet d’écriture. Nous n’entendions que la musique du crayon qui glisse, qui arrête, qui repart. Là, dans cet immense camp, sous un toit de tôle brulant, des femmes et des hommes nous livrent leurs paroles, pour dire l’insoutenable de leurs conditions, pour pleurer leur mort, pour faire entendre leurs voix trop longtemps ignorées, pour faire connaître leur indignation, pour avoir accès à de l’eau potable et à de la nourriture tous les jours. Mais, aussi, pour que le monde sache la beauté qui existe chez eux, la beauté du peuple haïtien, même quand ce peuple a faim. Parce que sans beauté, il ne peut y avoir d’espoir, de paix, ni de reconstruction. Après avoir écrit, une femme s’est levée et s’est mise à chanter. Tous et toutes se sont levés et se sont mis à chanter avec elle. Un chant, comme une prière qui s’élevait au-dessus de cet abri de tôle, qui traversait cet immense camp. Même si je le savais, je prenais à nouveau conscience de la responsabilité de notre travail d’artiste de théâtre et de la confiance qui nous était accordée à ce moment-là.
Avec ma collègue Dieuvéla Étienne, nous avons écrit le texte Ayiti Pawol Lapli ak Lakansyel. La pièce a été jouée plus de 275 fois en Haïti. Dans la ville comme dans les campagnes, que ce soit en descendant des mornes ou à travers les bananiers, les gens arrivaient de partout pour voir la pièce. La fierté était au rendez-vous. Au Québec la pièce a aussi été donnée à entendre en lecture publique à la Maison d’Haïti à Montréal avec Mireille Métellus, cette femme de théâtre d’exception qui s’était jointe à moi pour récolter les voix de la communauté haïtienne de Montréal.
Puis, il y eut Lac-Mégantic, au Québec. La pièce, Comme un grand trou dans le ventre a été créé en 2015 suite à l’invitation qui nous a été faite par le CSSS du Granit et la CDC de créer une œuvre théâtrale dans le prolongement de la tragédie survenue à Lac-Mégantic en 2013. Qu’est-ce que, nous artistes du théâtre, pouvions faire ? Notre travail artistique pouvait, non seulement offrir le dialogue, mais aussi être transformateur et régénérateur. C’est avec beaucoup d’humilité que nous nous sommes engagés dans cette création porteuse de vie, et porteuse de sens et de mémoire d’humanité. Avec les mots de plus de 400 écrivants de la MRC du Granit et leurs récits intimes, c’est toute l’histoire d’une communauté qui est racontée. Une autre histoire de batailles et de reconstruction, à la fois individuelle et collective.
Aujourd’hui, 27 mars 2022, et depuis près de cinq ans déjà, avec le Théâtre des Petites Lanternes et le même processus de création qu’est celui de la Grande Cueillette des Mots qui a été utilisé en Haïti, au Congo, à Lac-Mégantic et ailleurs, nous sommes à créer notre prochaine œuvre. Cette fois-ci, nous avons choisi de nous rapprocher de celles et ceux qui ont choisi la vie militaire, qui ont connu la guerre de l’intérieur et qui en reviennent avec des blessures de stress opérationnel. Face à cet enjeu si délicat et complexe qui suscite une multitude d’émotions, que pouvions-nous entreprendre en tant que théâtre ? Devant ce drame humain, il ne s’agissait pas pour nous de donner une opinion sur la pertinence de la guerre ou de l’armée, mais de faire en sorte que notre travail artistique puisse aider à « décadenasser » la parole de celles et ceux qui n’osent pas dire. Nous avons donc choisi de partir d’une parole intime — la leur — pour créer une œuvre sensible permettant de nous attarder à ce qui nous rassemble.
Le théâtre pour raconter
Pour imaginer demain
Avec de la beauté
Et c’est à ce moment-là, tout devient possible
Quand la beauté apparait
Des têtes se lèvent
Des corps se redressent
Des sourires se dessinent
Des regards se croisent
Un horizon se dessine
Des lueurs apparaissent
Un chemin se trace
Une marche commence
Vers ce qui est possible
La vie se joue au théâtre
Et dans les théâtres
Et partout là où la rencontre est possible
En Haïti on nous a offert différents lieux de prières pour présenter le théâtre, même si parfois il n’en restait que les décombres
En RDC, j’ai parfois travaillé avec des artistes à l’extérieur des salles de théâtre qu’ils devaient rendre disponible comme lieu de prière
Le théâtre touche
Comme des directs au cœur
Déstabilise
Pour faire en sorte que quelque chose commence à se passer
La journée du théâtre, c’est le jour où nous savons que les artistes auront toujours le pouvoir de changer le monde
Pour le rendre meilleur
Angèle Séguin
Autrice, metteure en scène
Directrice artistique Théâtre des Petites Lanternes