04 Oct Les cendres de la guerre et les chemins abénaquis
– une capsule de mémoire par Pierre Croteau –
La conquête de la Nouvelle-France ne se résume pas à une bataille rangée à coups de mousquets et de baïonnettes entre des soldats réguliers britanniques et français sur le pâturage d’Abraham Martin, le 13 septembre 1759.
Durant les années 1750, la France parvient à maintenir son commerce de fourrures sur un immense territoire en Amérique du Nord, de même qu’à maintenir une petite colonie sur les rives du St-Laurent, grâce à une poignée de soldats réguliers et de miliciens et grâce à son alliance avec plusieurs peuples amérindiens, toute cette force menant une efficace guérilla contre les avant-postes anglo-américains du versant atlantique des Appalaches. Chez les colons de la Nouvelle-Angleterre et de la vallée de l’Hudson, on craint et déteste indistinctement les Français et les Amérindiens.
Les Abénaquis sont parmi les meilleurs alliés des Français. Ils ont appelé leurs chemins d’eau Missisquoi, Magog, Memphrémagog, Massawippi, Coaticook, Mégantic, entre autres. Avant l’arrivée des Européens, des Abénaquis ont aussi vécu dans la région montagneuse où le Connecticut prend sa source. À Odanak, près d’où la rivière St-François débouche dans le fleuve St-Laurent, ils ont établi un village, fortifié en 1704, où on trouve une église. D’autres Abénaquis sont installés à Wôlinak, près de l’embouchure de la rivière Bécancour.
Pour ravager l’Acadie du golfe St-Laurent et conquérir le Canada à partir de 1758, le haut commandement britannique dispose de soldats réguliers (généralement en habits rouges) et de marins, mais aussi de troupes de miliciens anglo-américains (rangers), très mobiles et plus habitués à la forêt et aux rivières que l’armée régulière. Ces rangers sont parfois utilisés comme éclaireurs ou émissaires ou exécuteurs de basses œuvres.
Durant l’été 1759, un détachement de rangers et de soldats réguliers missionnés par le général Wolfe incendie 998 maisons et bâtiments de ferme de la rive droite du St-Laurent, de St-Louis de Kamouraska à Lévis. Un autre détachement met le feu aux paroisses plus en amont, jusqu’à Ste-Croix de Lotbinière, et refait le coup dans Charlevoix. Au centre de cette offensive se trouve Québec, qui tombe en septembre après un bombardement de dix semaines qui a mis la ville en ruines. Le commandant en chef des forces britanniques Jeffery Amherst, installé au lac Champlain, prépare ensuite l’attaque contre Montréal. Sa tentative de mettre les Abénaquis de son bord échoue lamentablement.
C’est dans ce contexte qu’une troupe de rangers commandé par le major Robert Rogers, qui a grandi au New Hampshire, arrive au village d’Odanak, pendant une absence des guerriers-chasseurs, et le pille et l’incendie durant la nuit du 4 octobre 1759, tuant, selon les sources françaises, une trentaine d’Abénaquis, surtout des femmes et des enfants. Des guerriers abénaquis et des soldats français envoyés par le gouverneur militaire de Trois-Rivières partent pourchasser Rogers et ses hommes, mais ne réussiront pas à le capturer.
Dans l’un de ses livres, Rogers prétendra avoir tué et fait tuer 200 Indiens à Odanak. On y apprend qu’il est passé, durant sa fuite, par les « Grandes Fourches », où s’élève aujourd’hui la ville de Sherbrooke.
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Rogers est mort pauvre et isolé à Londres. Les Français et les Abénaquis ont eu une descendance, souvent ensemble. La parution prochaine d’un dictionnaire français-abénaquis a été annoncée en août dernier. Ce serait le premier ouvrage de ce type depuis celui de 1715 du missionnaire Joseph Aubery. Une version préliminaire est disponible en ligne.
L’histoire n’a pas dit son dernier mot.
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quelques sources
T.-M. Charland (1959). C’est arrivé le 4 octobre 1759. Revue d’histoire de l’Amérique française, 13 (3), 328–334. doi:10.7202/301985ar https://www.erudit.org/fr/revues/haf/1959-v13-n3-haf2028/301985ar.pdf
Gaston Deschênes. L’année des Anglais. Septentrion, 2009. https://www.septentrion.qc.ca/catalogue/annee-des-anglais-ne-l
Mathieu Farfan. http://townshipsheritage.com/fr/article/rangers-du-major-rogers-1759
Charles P. Stacey, « ROGERS, ROBERT », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003 http://www.biographi.ca/fr/bio/rogers_robert_4F.html.
La Mémoire du Québec :
chronologie concernant Odanak, Wolinak et autres lieux proches