L’idéal démocratique des Patriotes de 1837-1838

L’idéal démocratique des Patriotes de 1837-1838

POINT DE VUE DE LUC GUAY – La Tribune – 19 mai 2017

– Quand les Britanniques ont conquis la Nouvelle-France en 1763, ils appelèrent leur nouvelle colonie, « Province of Quebec » à qui ils offrirent en 1791 l’Acte constitutionnel qui divisa la colonie en deux, soit le Haut et le Bas-Canada. Les nouveaux « sujets » obtinrent une Chambre d’assemblée composée de députés élus par la population : tout un changement de gouvernance pourrait-on affirmer. La population pouvait enfin former des partis politiques qui défendraient ses intérêts. Mais il n’en était rien étant donné que le gouverneur général nommé par le Parlement de Londres nommait les membres des Conseils législatif et exécutif qui avaient pour mission d’accepter ou de refuser les lois proposées par les députés… De plus, le gouverneur général avait droit de véto sur tout ce qui lui était présenté. Pendant plus de 30 ans, les députés se butaient sur les refus des différents gouverneurs ainsi que des membres des Conseils législatif et exécutif. C’est pourquoi rédigèrent-ils un document en 1834 qu’ils intitulèrent les « 92 Résolutions », qui renfermaient les revendications des députés du Parti patriote. Les principales revendications des Patriotes pourraient se résumer en trois points majeurs :1. Abolition du droit de véto du gouverneur général.2. L’élection des membres des Conseils exécutif (les ministres de l’époque) et législatif.3. Accès des Canadiens français à la fonction publique et non pas seulement aux Britanniques.

La réponse de Londres aux 92 Résolutions fut négative : ces 10 Résolutions Russel mirent le feu aux poudres, car en plus de nier l’abolition du droit de véto du gouverneur général, elles lui donnaient encore plus de pouvoirs en affirmant qu’il pourrait désormais se passer du consentement des députés pour voter les subsides ou argent servant à défrayer les coûts de l’administration de la colonie… Le Parlement de Londres ajouta en plus qu’il n’était pas question de rendre les Conseils législatif et exécutif électifs, et que si les manifestations de mécontentement persistaient, le Parlement britannique serait dans l’obligation d’unir les deux colonies du Haut et du Bas-Canada afin de réduire le poids de la majorité canadienne-française dans ses deux colonies.

En conséquence, le gouverneur général Gosford fit interdire toute assemblée publique ce qui ne fit que de les rendre encore plus « populaires » comme on l’a vu dans les villages de Saint-Ours et de Saint-Charles, le long du Richelieu, où de telles assemblées regroupaient entre 1000 et 5000 personnes! Devant cette « bravade » de la part des Canadiens de l’époque, et devant la stratégie adoptée par leurs chefs, dont Louis-Joseph Papineau et Wolfred Nelson qui proposaient le boycottage des produits britanniques afin de ne pas payer de taxes sur ces produits importés de Grande-Bretagne, privant ainsi l’administration de revenus importants, Gosford proclama un mandat d’arrêt contre les principaux chefs patriotes, dont Papineau.

Une troupe de soldats britanniques se rendit le 23 novembre 1837 à Saint-Denis pour les capturer, mais les chefs patriotes furent défendus par les habitants et repoussèrent les soldats britanniques. La revanche britannique s’exprima deux jours plus tard au village voisin de Saint-Charles, où les troupes britanniques l’emportèrent facilement sur les troupes patriotes mal équipées et mal préparées. Et quelques semaines plus tard, en décembre, dans le village de Saint-Eustache, les troupes britanniques vainquirent à nouveau les troupes patriotes. Le commandant des troupes britanniques, John Colborne, fit dévaster les villages de Saint-Eustache ainsi que celui de Saint-Benoit afin de réprimer ces insurrections.

Plusieurs des chefs de cette première insurrection se rendirent aux États-Unis afin de ne pas être capturés et de préparer une seconde invasion.

Ainsi, une seconde insurrection se préparait en ce début d’année 1838 : une organisation secrète, les Frères Chasseurs, avait même été mise sur pied, comptant environ 1000 miliciens Patriotes. L’attaque devait se produire en novembre 1838. Le gouverneur Gosford et le commandant Colborne eurent vent de l’affaire et firent venir un plus grand nombre de soldats pour défendre le territoire, ce qu’ils firent comme en 1837 : la seconde insurrection fut aussitôt matée. La Constitution de 1791 fut suspendue et Londres dépêcha Lord Durham afin d’enquêter sur les événements et proposer une solution durable. Ce dernier se rendit compte dès son arrivée en 1838 qu’un gouvernement responsable résoudrait bien des problèmes, mais Londres s’y refusa et mit plutôt à exécution en 1840 l’union du Haut et du Bas-Canada, ce qui provoqua, on s’en doute, d’autres mécontentements au Bas-Canada.

Enfin, soulignons que 12 Patriotes furent pendus au Pied-du-Courant, à Montréal, entre 1838 et 1839 (une vingtaine le furent aussi dans le Haut-Canada), et des centaines de prisonniers croupirent pendant plusieurs mois dans les prisons de Montréal. Quant à Papineau, il revint d’exil après l’amnistie déclarée par Londres en 1844 pour les 58 exilés, soit en Australie ou aux États-Unis, mais il n’avait plus la « cote » comme on dit, alors que Wolfred Nelson, son collègue le plus proche, l’accusait d’avoir déserté lors de la bataille à Saint-Denis en 1837…

Toutefois, en 1848, Londres accepta l’idée défendue si âprement par les Patriotes, soit celle d’accorder l’élection des Conseils législatif et exécutif.

Ce qu’il faut retenir de tout cela, c’est qu’en 1848, soit dix ans après les rébellions, les Patriotes ont obtenu en partie ce pour quoi ils s’étaient battus, soit l’obtention d’un gouvernement plus responsable où le droit de véto du gouverneur général n’avait plus préséance sur les décisions de la Chambre d’assemblée ; les députés obtinrent aussi le droit de choisir parmi eux ceux des ministres qui eurent pour tâche d’exécuter les lois votées par les députés. Mais il faut souligner le sacrifice de milliers de partisans Patriotes qui ont su braver la gouvernance britannique afin d’obtenir un idéal démocratique pour lequel ils se sont battus.

En terminant, je vous invite à participer cette année à la 15e présentation de la Journée nationale des Patriotes qui se tiendra au centre Richard-Gingras (secteur St-Élie d’Orford), dimanche, à compter de 9 heures. Vous pourrez y voir une reconstitution d’une escarmouche entre soldats britanniques et patriotes ainsi qu’une allocution de l’ex-premier ministre, Bernard Landry. Il en coûte 20 $ pour cette activité qui comprend aussi le déjeuner.

Luc Guay, Ph.D, didactique de l’histoire, Professeur retraité de l’Université de Sherbrooke

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