Décès d’Alphonse Desjardins – 1920

Alphonse Desjardins : la force de l’action et de l’éducation

Le Québec au temps d’Alphonse Desjardins est marqué par de profonds changements: l’industrialisation, l’urbanisation et le mouvement migratoire massif vers les États-Unis imprègnent la toile de fond sur laquelle ce natif de Lévis, le 5 novembre 1854, entreprend son action. Une autre réalité de l’époque est la situation économique des Canadiens-français, peu nombreux à exercer une influence déterminante dans le monde des affaires ou de la finance.

 

Cette question intéresse particulièrement M. Desjardins. Véritable touche-à-tout, celui-ci a multiplié les expériences – service militaire, journalisme, éditeur des débats à l’Assemblée législative, etc. – avant d’accéder au poste de sténographe francophone à la Chambre des communes, qu’il conservera de 1892 jusqu’à sa retraite en 1917.

 

Engagé politiquement avec le Parti conservateur, le Lévisien l’est aussi socialement. Avivé en 1897 par un débat aux Communes sur les pratiques usuraires, son intérêt pour la difficile accessibilité au crédit, à la fois pour les gens à faible revenu et pour les Canadiens-français, ne le quittera plus.

 

Préoccupé par le sort des agriculteurs et l’exode aux États-Unis, il cherche, en s’inspirant de modèles européens, une voie originale permettant de « créer un mouvement coopératif où les épargnes des membres seraient réinvesties dans l’économie locale ». De fait, M. Desjardins, influencé également par la doctrine de l’Église catholique, souhaite mettre sur pied un projet se voulant « sur le terrain économique, le prolongement de la paroisse ».

 

Une première caisse entreprend ses activités à Lévis le 23 janvier 1901. Les débuts sont lents et les embuches nombreuses, dont la difficile quête d’un statut juridique clair, qui ne sera obtenu de Québec qu’en 1906. Sans l’appui indéfectible de son épouse Dorimène, on peut d’ailleurs présumer qu’Alphonse, qui partage sa vie entre Lévis à Ottawa, n’aurait pu mener ses projets à terme.

 

L’acharnement du couple porte cependant des fruits. Porté par Alphonse, qui fait œuvre d’éducation sur toutes les tribunes – publications, discours, etc. –, le modèle des caisses fait tache d’huile. Il s’étend même en Ontario et auprès des « Francos » de la Nouvelle-Angleterre, incitant Le Devoir à avancer que « M. Desjardins est probablement mieux connu à l’extérieur qu’au Canada ».

 

Miné par la maladie à partir de 1914, Alphonse Desjardins ralentit ses activités. Le temps lui manque pour réaliser un de ses objectifs, celui de réunir les caisses au sein d’une fédération. Lorsqu’il décède, le 31 octobre 1920, on compte néanmoins près de 150 caisses et 6,3 millions de dollars en actifs.

 

Bien que modeste dans un monde encore dominé par les milieux bancaires anglophones, cette percée n’échappe pas aux témoins de son temps. Une foule importante est présente à l’église Notre-Dame de Lévis lors des funérailles, le 4 novembre. Fait révélateur, le cardinal Louis-Nazaire Bégin et le premier ministre Louis-Alexandre Taschereau assistent à ce dernier hommage au commandeur Desjardins, dont Georges Pelletier décrit l’œuvre « comme une manifestation durable d’un patriotisme aussi fécond que modeste et désintéressé ».

 

Serge Gaudreau

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4e trimestre 2020, Régime britannique