Le coup de la Brink’s – 1970

Le 26 avril 1970 a marqué l’imaginaire des Québécois. Ce jour-là le Québec fut victime de la première campagne de peur menée par les forces fédéralistes contre le mouvement indépendantiste québécois. Ce fut le célèbre et mystérieux « coup de la Brink’s » qui souleva le spectre d’une fuite des capitaux advenant l’élection du PQ.  

  1. Montée du mouvement souverainiste

Durant les années 1960, dans la foulée de la révolution tranquille, le mouvement nationaliste au Québec était en pleine effervescence. Déjà en 1966, le RIN de Pierre Bourgault avait obtenu 5,5% des suffrages. En 1967, René Lévesque fondait le mouvement souveraineté-association qui fut suivi en 1968 avec la création du Parti Québécois. Le PQ attirait les foules enthousiastes, alors que des vedettes de tous les horizons se joignaient à ce jeune parti. Le dynamisme faisait craindre le pire aux tenants du statu quo. Cela devint particulièrement évident en avril 1970 alors que le PQ participait à sa première campagne électorale.

D’ailleurs, Claude Ryan, le directeur du Devoir, expliquait la montée du phénomène souverainiste le 16 avril 1970 par la capacité de René Lévesque de traduire en termes concrets les aspirations des Québécois de maitriser leurs avenir politique, économique et culturel. 

Plus encore. Le PQ avec son programme axé sur la souveraineté et la justice sociale avait gagné tellement en popularité qu’il suscitait les pires craintes au sein des forces fédéralistes. Or, entre le 18 et le 25 avril, quatre sondages furent publiés qui plaçaient le PQ tout juste derrière les libéraux de Robert Bourassa. Le Québec semblait se diriger vers un gouvernement minoritaire. Cette incertitude était trop grande pour certains fédéralistes.  Il fallait faire quelque chose pour endiguer la menace séparatiste.

  1. L’opération de la Brink’s

L’opération débuta le samedi soir, 25 avril, alors que le quotidien The Gazette reçut un appel téléphonique anonyme l’informant que le lendemain une importante quantité de valeurs quitterait Montréal en direction de Toronto. D’ailleurs, le 26 avril au matin neuf fourgons blindés de la Brink’s étaient alignés devant les bureaux du Trust Royal sur la rue Dorchester Ouest, sous la surveillance de gardes armés. The Gazette révélait que chaque fourgon transportait 50 millions de dollars de titres.

Cette opération, apparemment orchestrée par le Trust Royal et le milieu financier montréalais opposé à la sécession du Québec, représentait une grosse manipulation des médias et visait à faire peur aux électeurs québécois. Mais cette supercherie dépassa les élites financières anglophones de Montréal. En effet, le photographe Tedd Church du The Gazette, le seul représentant des médias ayant été témoin du chargement des fourgons, révéla en avril 2010, soit 40 ans après les faits, que le gouvernement de Pierre E. Trudeau fut le maître d’oeuvre de cette grossière manipulation. Church affirma qu’il a été informé par la direction du The Gazette que ses photos ne seraient pas publiés à cause d’une entente avec le bureau du premier ministre Trudeau afin d’atténuer les effets économiques négatifs que la nouvelle pourrait générer dans le reste du Canada et même aux États-Unis.

La nouvelle du « coup de la Brink’s » fut publiée le soir du 26 avril dans The Gazette et reprise ensuite par l’ensemble des médias canadiens et même américains.  Par exemple, le Chicago Tribune affirmait que «L’argent commence à fuir le Québec par peur d’une victoire séparatiste». Ainsi, à trois jours des élections de 1970, les forces fédéralistes brandissaient la menace économique face au projet souverainiste proposé par René Lévesque.

  1. Les effets du « coup de la Brink’s » 

La supercherie du coup de la Brink’s pour faire peur aux Québécois a admirablement bien fonctionné. Le lendemain, elle faisait la une de tous les journaux. Elle fut interprétée immédiatement comme une preuve qu’une victoire PQ allait inévitablement provoquer un exode massif de capitaux du Québec. Lorsque les Québécois votèrent le 29 avril, le résultat fut sans nuance. Le PQ n’obtint que 23% des votes et ne fit élire que 7 députés, alors que les libéraux dirigés par Robert Bourassa obtinrent une large majorité avec 45% des suffrages et 72 députés sur les 108 que comptait l’Assemblée nationale. 

Trois décennies plus tard,  Jacques Parizeau décrivit l’effet dévastateur que l’opération de manipulation eut sur l’électorat québécois: «Dans les derniers jours, le vote nous filait entre les mains. On le sentait nous glisser des doigts comme du sable. […] Dans mon comté, les francophones ont cru dur comme fer que la substance du Québec se transportait à Toronto!»            

 

 

Gilles Vandal, Ph.D
Professeur émérite de l’Université de Sherbrooke

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4e trimestre 2024, Régime britannique