Les tensions linguistiques, le Québec en a connu plusieurs depuis la Conquête britannique de 1763, mais celle qui a fait jaillir le plus de débordements est sûrement celle se rapportant au projet de loi 85 déposé le 9 décembre 1968 à l’Assemblée législative de Québec (qui deviendra l’Assemblée nationale le 31 décembre de la même année).
1. Rappel historique
Jusqu’à la Révolution Tranquille des années ‘60, les écoles québécoises étaient gérées selon deux systèmes d’appartenance, soit les écoles catholiques pour les francophones et les écoles protestantes pour les anglophones et les non-catholiques, peu importe leur langue. Pour les nationalistes québécois, cette situation était qualifiée d’anormale étant donné que les parents des enfants de l’immigration choisissaient en très forte majorité les écoles anglaises. Pourquoi en était-il ainsi? C’est que le niveau socioéconomique des anglophones étant supérieur à celui des francophones jusque dans les années ‘70, il était plus attrayant d’envoyer les enfants issus de l’immigration à l’école anglaise afin de profiter de ces avantages socioéconomiques.
2. Des affrontements et une crise sociale
Un affrontement se produisit en 1968 dans la ville de Saint-Léonard, au Nord de Montréal (elle fait partie de nos jours de la ville de Montréal) qui comptait plusieurs familles d’origine italienne (30% de la population) et catholique. Ces familles souhaitaient que leurs enfants fréquentent l’école anglaise de la ville afin d’améliorer leur sort socioéconomique. Le gouvernement dirigé par le chef de l’Union Nationale, Daniel Johnson s’en mêla, souhaitant présenter une loi qui tiendrait compte du caractère francophone du Québec. Il avait même souligné que le Québec devait être « aussi français que l’Ontario est anglais » !
3. Manifestations de la Rue
Le 26 septembre 1968, Daniel Johnson décéda. Son successeur, Jean-Jacques Bertrand, moins combatif que son prédécesseur sur la question de la langue, tergiversa en proposant un projet de loi (85) qui garantirait le libre-choix de l’école française ou anglaise pour tous, en insistant qu’il fallait mettre en place des mécanismes afin que les anglophones puissent apprendre le français. Un tollé de protestations se fit entendre partout au Québec : 20 000 manifestants à Montréal, 50 000 au Parlement à Québec. Il faut comprendre que 85% de la population était francophone et comme les immigrants se tournaient vers les écoles anglaises, et si la tendance se maintenait, il s’ensuivrait un déclin démographique chez les francophones. La crise fit rage auprès des étudiants, des syndiqués et des mouvements nationalistes.
Les Libéraux de Jean Lesage appuyèrent le projet de loi, mais des opposants quittèrent le parti dont Yves Michaud ainsi que quelques députés de l’Union Nationale. René Lévesque qui siégeait comme indépendant, s’opposa aussi au projet de loi qui même refondu par la loi 63, reprenait les grandes lignes du projet de loi 85. Les droits linguistiques de la minorité anglophone s’en trouvèrent-ils garantis grâce à ce projet de loi ainsi qu’à la loi 63 qui lui succéda. Il faudra attendre l’adoption de la loi 101 votée par le Parti Québécois en 1977 pour renforcer un peu plus les droits linguistiques des francophones tout en continuant à protéger ceux des anglophones nés au pays.
4. Une crise qui emporta l’Union Nationale
L’Union Nationale n’a pas survécu à cette crise, car lors des élections d’avril 1970, les Libéraux de Robert Bourassa l’emportèrent sur l’Union Nationale. Cette élection sonnait le glas pour ce parti fondé par Maurice Duplessis : les résultats illustrent la montée du nationalisme québécois car les Libéraux obtinrent 45% des voies avec 72 sièges, suivi de l’Union Nationale avec 19,6% et 17 sièges, le Ralliement créditiste avec 11% des voies et 12 sièges, et enfin le Parti Québécois obtenant 23% des voies et ne récoltant que 7 sièges. La vague péquiste se fit grandement sentir et allait profiter de cette crise linguistique.
Luc Guay, Ph.D
Professeur retraité de l’Université de Sherbrooke