- Non à la conscription au Québec
Si cette politique de service militaire obligatoire était largement soutenue au Canada anglais, il en allait différemment au Québec.
En 1917-1918, la crise de conscription au Québec fut nourrie par un fort sentiment nationaliste. Parce que les Québécois de l’époque étaient anticonscriptionnistes, ils furent victimes de préjugés tenaces, d’un mépris prononcé et d’une hostilité pure de la part de la population et des médias anglophones. De plus, les Québécois ne ressentaient aucune loyauté particulière envers la Grande-Bretagne.
- Pourquoi la conscription?
Au début de la Première Guerre mondiale, le gouvernement canadien n’eut pas besoin de recourir à la conscription. En 1914-1915, environ 330 000 Canadiens s’enrôlèrent volontairement pour aller combattre les Allemands en France. Mais à la fin de 1916, les pertes humaines subies étaient telles que l’armée canadienne manquait d’effectifs pour remplir les missions qu’elle s’était vue octroyer, alors que le recrutement de volontaire ralentissait dangereusement. En mai 1917, le premier ministre Robert Borden fut interpelé lors de la Conférence impériale à Londres sur la nécessité d’envoyer de nouveaux contingents de troupes pour renforcer le corps expéditionnaire canadien. Il annonça le 18 mai au parlement canadien sa décision de rendre obligatoire le service militaire.
- Une loi qui divise
Borden était très conscient des oppositions à la conscription surtout en provenance du Québec. Aussi, il tenta sans succès de former un gouvernement de coalition nationale, mais sa proposition fut rejetée par Wilfrid Laurier, chef du parti libéral, dès le 6 juin. Ce dernier croyait qu’une telle alliance ne ferait que livrer le Québec aux nationalistes québécois d’Henri Bourrassa. Néanmoins, Borden décida d’aller de l’avant avec sa loi et instaura le service militaire obligatoire pour les hommes entre 20 et 45 ans. La loi fut adoptée le 29 août avec l’appui de la large majorité des députés anglophones, alors que presque tous les députés francophones votèrent contre. En octobre, Borden annonça la formation d’un gouvernement d’union, formé d’une coalition de conservateurs et d’une poignée de députés libéraux favorables à la conscription. Les élections fédérales de décembre 1917 furent centrées sur la question de la conscription. Borden demandait un mandat pour appliquer cette dernière. Il fit élire 153 députés, alors que les libéraux de Laurier n’obtinrent que 82 sièges, dont 62 au Québec. Cependant, la population québécoise acquit alors un fort sentiment de trahison.
- Des manifestations qui tournent au drame
À la suite de l’adoption de la conscription le 29 août 1918, Montréal fut la scène de deux jours d’émeutes et de violence, marquées par des bris de vitrines et l’enlèvement de rails du tramway. 150 policiers furent appelés pour disperser la foule et rétablir l’ordre. Mais le pire était encore à venir. Le processus de convocation des conscrits débute en janvier 1918. Mais la tension atteint son paroxysme le 28 mars, un jeudi saint, lorsque Joseph Mercier est arrêté à Québec pour ne pas avoir sur lui ses papiers de conscription. Une foule se rassemble alors et va piller les bureaux de l’armée. Le Vendredi saint au soir, quelque 3 000 personnes se rassemblent dans le quartier Saint-Roch. Durant la nuit, plus de 10 000 personnes se promènent dans les rues de Québec et mettent le feu à l’auditorium. Confronté à ces émeutes, Borden proclame la loi martiale et déploie plus de 6 000 soldats en provenance de Toronto et Winnipeg. Le 1er avril, lundi de Pâques, l’ordre est donné aux soldats de disperser la foule. Les émeutiers ripostent au déploiement d’un régiment de cavalerie en lançant des pierres. Les soldats vont même recourir à des mitrailleuses pour disperser les émeutiers, causant la mort de quatre personnes et plus de 150 blessées. Ces émeutes marquèrent le nationalisme québécois pour des générations à venir.
Gilles Vandal, Ph.D
Professeur émérite, retraité de l’Université de Sherbrooke