La loi sur l’enseignement obligatoire au Québec – 1943

1. Godbout, un Premier Ministre progressiste
Dans un prélude à la Révolution tranquille, Adélard Godbout, premier ministre de 1939 à 1944, lance un vaste programme de réformes. Après avoir doté le Québec de sa devise « Je me souviens », son gouvernement octroya le droit de vote aux femmes en avril 1940, définit le cadre légal des relations ouvrières en février 1944 et créa Hydro-Québec en avril 1944 avec mandat de procéder à l’électrification des campagnes. Mais plus encore, son administration se démarqua par l’adoption en mai 1943 de la loi sur la fréquentation scolaire obligatoire, établissant un système d’éducation élémentaire universel et gratuit. Cette loi allait permettre véritablement au Québec d’entrer dans la modernité.

 

2. Une loi pour contrer le décrochage scolaire
Jusqu’au début des années 1940, le mouvement en faveur de l’enseignement obligatoire au Québec était confronté à une forte résistance non seulement d’une large majorité du clergé et des évêques, mais aussi de laïcs conservateurs, membres du Comité catholique du Conseil de l’instruction publique. Ces derniers, dirigés par Charles-Joseph Magnan, inspecteur général des écoles catholiques provinciales de 1911 à 1929, se montraient très réticents à accepter une intervention de l’État dans un domaine réservé traditionnellement au Québec à l’Église et à la responsabilité des parents. Néanmoins, le système québécois d’éducation du côté francophone était en pleine crise. Des taux élevés de décrochage apparaissaient dès la quatrième année de l’école élémentaire.

 

3. Une enquête pancanadienne déterminante sur l’éducation
Pour rendre l’enseignement obligatoire aux enfants de 6 à 14 ans, Godbout bénéficia largement du concours d’Hector Perrier. Devenu secrétaire provincial au sein du cabinet Godbout en octobre 1940, ce dernier était responsable entre autres choses de l’éducation. Perrier sut identifier et collaborer étroitement avec les éléments conservateurs favorables à la réforme proposée pour lui donner une plus grande légitimité. Ainsi, il mandata le père Paul-Émile Beaudoin, un jésuite, d’examiner de manière détaillée les taux de fréquentation scolaire au Québec par rapport à ceux des autres provinces canadiennes. Or, l’enquête du Père Beaudoin montrait que les taux de fréquentation étaient en fait bien inférieurs à ceux officiellement rapportés. Seulement 41,4% des élèves francophones atteignaient la sixième année, comparativement à 89,7 % pour les élèves protestants de Québec. Concernant la septième année, les données étaient encore pires avec 23,3% comparées à 83,0%. Quant à ceux terminant la neuvième, ils n’étaient que de 6,7%, comparés à 47,9%. Entre-temps, en Ontario, 54% des élèves se rendaient jusqu’en neuvième année.

 

4. L’adoption d’une loi malgré les réticences du clergé et des conservateurs
À la suite de l’enquête du Père Beaudoin, Perrier réussit à impliquer le Comité catholique dans le processus de réforme du système d’éducation. Plus encore, il obtint en décembre 1942 le soutien inconditionnel du cardinal Villeneuve, archevêque de Québec de 1931 à 1947. L’appui de ce dernier s’avéra décisif pour vaincre les réticences des évêques, du clergé et des laïcs conservateurs. L’approche minutieuse et diplomatique de Perrier lui permit de faire adopter la loi qui rendait obligatoire l’éducation au Québec en mai 1943. À son retour au pouvoir en août 1944, Duplessis lança un vaste programme de construire d’écoles primaires dans plus de 1 000 municipalités du Québec. Décidément, la loi de 1943 traça les jalons de la Révolution tranquille.

 

Gilles Vandal, Ph.D
Professeur émérite, retraité de l’Université de Sherbrooke

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2e trimestre 2023, Régime canadien