La conviction que l’alcool est un fléau à éradiquer anime les mouvements de tempérance apparaissant en Amérique du Nord au XIXe siècle. Pressés d’intervenir, les gouvernements hésitent. Un référendum canadien sur cette question, le 30 septembre 1898, illustre à nouveau la division du pays entre ses deux peuples fondateurs : alors que les autres provinces approuvent la prohibition, le Québec s’y oppose à 81,2 % !
Le gouvernement fédéral restera prudent sur cette épineuse question, mais les municipalités, elles, peuvent se déclarer « sèches » grâce à la Loi de tempérance (Scott) de 1878. Plusieurs villes du Québec s’en prévalent. Toutefois, lors d’un autre référendum tenu le 10 avril 1919, les Québécois rappellent à 78,6 % leur préférence pour la vente d’alcool sur leur territoire.
Le vent souffle néanmoins pour la tempérance, tant au Canada qu’aux États-Unis, où un amendement constitutionnel prohibitionniste est adopté en 1919. C’est dans ce contexte que le gouvernement québécois du libéral Louis-Alexandre Taschereau élabore une initiative originale en Amérique. Plutôt que d’interdire l’alcool, il fait passer en février 1921 une loi créant une Commission des liqueurs du Québec (CLQ), dont le premier président est Georges Simard. Inspirée d’un modèle suédois, celle-ci sera désormais la seule responsable de la gestion et la vente de vins et spiritueux, la bière continuant de relever des établissements privés.
Pareille intervention étatique dans le Québec des années 1920, dans un domaine aussi controversé, suscite de l’opposition, notamment au sein de l’Église et des distributeurs privés. Taschereau considère tout de même qu’elle peut « concilier la morale et l’éthique ».
Sur le plan économique, la CLQ, qui entre en opération le 1er mai, profite aussi au gouvernement. En plus des Québécois, les Canadiens des autres provinces et les Étatsuniens sont nombreux à venir au Québec afin de consommer ces produits. Dans la soixantaine de points de vente situés sur l’ensemble du territoire, un nombre qui augmentera rapidement, les ventes s’élèveraient dès ses débuts à 15 millions de dollars, une somme très importante à l’époque. Les revenus nets serviront à l’État, par exemple pour les dépenses générées par la nouvelle Loi sur l’assistance publique.
Lors de cette période pionnière, la CLQ a une image plutôt sobre. Seuls les prix sont affichés, alors qu’un comptoir fermé et un grillage séparent les clients du commis chargé de les servir. La CLQ, c’est aussi l’embouteillage, l’entreposage, la distribution et même la sécurité, un système de surveillance, devenu la « police des liqueurs » en 1934, assurant le respect de la loi. En tout, elle compterait 415 employés dès 1921.
La CLQ, qui deviendra la Régie des alcools en 1961, ne met un terme ni à la tempérance ni aux problèmes liés à l’alcool. L’intrigante approche québécoise sera néanmoins regardée de près, comme en Ontario, où un Liquor Control Board sera mis sur pied en 1927. Aujourd’hui, véritable force économique, la Société des alcools du Québec compte 7082 employés en 2019-2020 et verse un dividende annuel de 1,3 milliard de dollars au gouvernement québécois.