Dans un Québec où les interventions gouvernementales sont rares, tant sur le plan social qu’économique, le gouvernement libéral de Louis-Alexandre Taschereau innove au début de 1921. Il vote en février la Loi concernant les liqueurs alcooliques créant la Commission des liqueurs, une première sur le continent. Puis, quelques semaines plus tard seulement, le 18 mars, il fait adopter la Loi de l’assistance publique, la première grande loi québécoise en la matière.
Celle-ci prévoit une aide aux indigents, soit « toute personne hospitalisée ou recueillie dans tout établissement reconnu d’assistance publique » qui ne peut compter sur aucun soutien direct ou indirect, de façon temporaire ou définitive. Un besoin croissant est identifié sur ce plan, particulièrement avec la récession postérieure à la fin de la Grande Guerre 1914-1918. En effet, le nombre de personnes handicapées, âgées, orphelines ou seules qui sont hospitalisées exerce une pression accrue sur les services offerts. À cette fin, le gouvernement décide avec cette loi de participer au financement des frais occasionnés à parts égales, soit chacun un tiers, avec les institutions concernées et les municipalités.
La loi passe sans difficulté à l’Assemblée législative. Au pouvoir depuis 1897, les libéraux, dirigés par Taschereau depuis 1921, détiennent une majorité écrasante. En 1919, ils ont même remporté 43 de leurs 74 sièges par acclamation, contre seulement 5 en tout pour le Parti conservateur !
Cette intervention de l’État dans une sphère généralement réservée aux institutions privées, essentiellement confessionnelles, ne fait toutefois pas l’unanimité. Aussi, les milieux conservateurs, notamment des membres de l’Église, expriment des inquiétudes. Pour eux, l’aide aux indigents relève de leur famille, ou alors des institutions privées et des communautés religieuses responsables de leur hébergement. En ce sens, toute forme de « contrôle » extérieur, comme celle que l’on impute au Service de l’assistance publique prévu par la loi, est perçue comme une intrusion étatique inacceptable.
Des journaux comme L’Action catholique, et surtout Le Devoir, talonnent également le gouvernement. Dans une série d’articles qui font la une, le directeur Henri Bourassa dénonce sans ménagement la Loi de l’assistance publique, qui serait « susceptible d’applications fort dangereuses, menaçantes pour la liberté religieuse et l’ordre social ».
Le premier ministre a beau se faire rassurant, déclarant qu’il « n’est nullement question d’une mainmise de l’État sur nos institutions d’assistance publique » . Bourassa demeure sceptique, voyant même dans la loi « la voie qui mène au socialisme d’État ». Des propos qui ont une résonance particulière quelques années après la révolution russe de 1917, et pendant une période de tensions ouvrières et de radicalisation au Canada.
Le gouvernement Taschereau garde néanmoins le cap, même si la Loi sur l’assistance publique, qui entrera en vigueur le 1er septembre 1921, sera modifiée à quelques reprises au fil des ans.
Serge Gaudreau, historien, École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke