Le Refus global – 1948

Un manifeste incendiaire

Le Refus global est un document portant sur la modernité québécoise et fut publié le 9 août 1948. Ce manifeste représente avec la grève des mineurs d’amiante d’Asbestos de 1949, l’émeute  du forum de 1955 et la publication des Insolences du Frère Untel en 1960, un des grands éléments précurseurs de la Révolution tranquille. Ce manifeste incendiaire représente indéniablement un jalon central dans l’histoire intellectuelle du Québec, bien qu’il ne fût qu’après coup associé aux mouvements sociaux-démocrates et nationalistes québécois. Signé par seize artistes et intellectuels québécois, dont Paul- Émile Borduas, Jean-Paul Riopelle et Françoise Sullivan, ce manifeste était fortement imprégné de la pensée d’André Breton, un poète français surréaliste. 

Un manifeste censuré

Le manifeste comporte une série de textes ainsi que des illustrations et des photographies.  Le Refus global fut publié à 400 exemplaires et offert chacun à un dollar et dont seulement la moitié furent vendus. Lors de sa parution, le manifeste généra une courte tempête publique,  scandalisant les autorités civiles et religieuses ainsi que la presse, qui le condamnèrent et le censurent. Ne bénéficiant  pas d’une large couverture des médias, il n’eut pas une grande retombée dans la population. Borduas, son principal auteur, fut immédiatement renvoyé de l’École du Meuble de Montréal où il travaillait comme professeur. Il dut s’exiler d’abord aux États-Unis, puis en France où il décéda en 1960. Néanmoins, le document fut rapidement traduit dans plusieurs langues et connut une large diffusion au Canada, aux États-Unis et en Europe.

Un manifeste anti-establishment et anti-religieux

Tous les signataires ne partageaient pas les mêmes perspectives idéologiques. Certains adhéraient simplement au mouvement surréaliste et à une vision artistique liée au groupe automatiste qui était influencé par Freud et Nietzsche et visait à rattraper artistiquement l’Europe. D’autres préconisaient à la fois une démocratisation de l’art et la création d’un vaste mouvement social radical afin de décoloniser le Québec. Néanmoins, tous les signataires, méprisant l’enseignement académique québécois de l’époque, proposaient une vision anti-establishment et antireligieuse notoire. 

Un manifeste qui avait pour objectif de secouer le Québec d’alors

Si leurs perspectives étaient hétéroclites, leur manifeste s’érigeait ouvertement contre une structure sociale très fermée. Rompant avec les valeurs sociales  de la société québécoise des années 1940, ils s’opposaient ouvertement au clergé comme seuls dépositaires du savoir et de la vérité et appelaient la société québécoise à se libérer des carcans sociaux, économiques, politiques et psychologiques qu’on lui avait imposés. Les signataires, dépassant leurs frustrations personnelles, exprimaient le besoin de libération de la société québécoise pour l’espoir irrésistible d’une renaissance collective. Ils exposaient dans leur manifeste un signe avant-coureur de la grande transformation sociale, économique, politique et religieuse qui allait secouer le Québec à partir de 1960.  

Un manifeste avant-gardiste

Leur manifeste démontrait après coup que la société québécoise n’avait pas été complètement subjuguée par la Grande Noirceur et qu’une vie intellectuelle novatrice y était malgré tout possible. Par son contenu et ses composantes, ce manifeste montrait qu’il restait au Québec des hommes et des femmes déterminés, disposants d’une vision avant-gardiste, capables de résister au discours dominant et de proposer une alternative aux valeurs imposées.  68 ans plus tard, Dennis Ried, un historien de l’art, affirmait que le manifeste du Refus global représentait la déclaration esthétique la plus importante jamais faite au Canada.

 

Gilles Vandal, Ph.D
Professeur émérite, retraité de l’Université de Sherbrooke

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3e trimestre 2023, Régime canadien