Les crises politiques trouvent souvent leur origine dans des dossiers qui semblent secondaires, avant de prendre une tournure imprévisible. C’est ce qui se produit en 2006, alors que le gouvernement libéral de Jean Charest compose avec une opposition massive à son projet de privatisation d’une partie du parc du Mont-Orford, fondé en 1938.
Des visions qui s’opposent
L’idée d’assurer un financement plus soutenu des infrastructures sportives
d’Orford circule depuis quelque temps. Elle trouve écho dans le projet de loi 23, déposé le 6 mars 2006 à l’Assemblée nationale par le ministre fraîchement élu de l’Environnement, du Développement durable et des Parcs, Claude Béchard.
Celui-ci prévoit la vente par le gouvernement de 649 hectares du parc, essentiellement dans le domaine skiable et le club de golf. Cette initiative permettrait au gestionnaire en place, Mont-Orford Inc., de procéder à la construction de plus de 1000 unités d’hébergement près des pentes. Les revenus générés serviraient, entre autres, à moderniser la station.
La réaction est rapide et énergique. Plusieurs font valoir que contrairement à d’autres montagnes appartenant à des intérêts privés, Orford trône au milieu d’un parc national public, protégé en vertu de la Loi sur les parcs. La dimension environnementaliste préoccupe aussi, certains redoutant que cette privatisation ouvre la porte à un développement compromettant la nature et la quiétude des lieux. Inquiétude que n’apaise pas l’engagement à agrandir le parc dans d’autres directions.
Dans l’arène politique
Sur le plan politique, des voix se font entendre contre la loi, comme celle du maire du Canton d’Orford, Pierre Rodier. Même au sein des libéraux, elle ne fait pas l’unanimité. Le ministre qui a précédé Béchard, Thomas Mulcair, est un opposant au projet. L’ex-député libéral d’Orford, Robert Benoit, figure aussi parmi les ténors de SOS Orford, un groupe de pression mis sur pied afin de contrer cette privatisation.
Bénéficiant d’un soutien populaire, l’étincelle devient un feu de broussailles. Le 6 mars, 3000 citoyens se massent dans un parc du village d’Orford pour exprimer leur grogne. L’affaire prend une dimension nationale le 22 avril, alors qu’une dizaine de milliers de personnes marchent dans les rues de Montréal pour cette cause. Une pétition obtient même plusieurs dizaines de milliers de signatures.
Face à la contestation, le ministre réitère sa volonté d’aller de l’avant. Ce dossier, qui a fait boule de neige en quelques mois, s’est toutefois transformé en véritable enjeu de société pour les Estriens et les Estriennes, et même pour les Québécois et les Québécoises en général. Malgré les propos rassurants du promoteur, selon qui les nouvelles constructions n’auraient qu’un impact marginal sur le paysage, les opposants perçoivent celles-ci comme une menace à la vocation du parc. Ils redoutent même que ce test constitue un banc d’essai en prévision d’autres privatisations ailleurs au Québec.
La Loi 23 sera adoptée en juin 2006, mais le gouvernement ne l’appliquera pas. Elle sera abrogée en mai 2010.
Serge Gaudreau
Historien, École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke