Le vieil adage « Bon sang ne saurait mentir » semble s’imposer lorsque l’on s’intéresse au parcours de Marie Gérin-Lajoie. Comme le souligne sa biographe Hélène Pelletier-Baillargeon, celle-ci a profité très tôt de l’influence déterminante de membres de sa famille issue de la bourgeoisie canadienne-française. C’est le cas, entre autres, de modèles féminins comme sa tante Antoinette, codirectrice de l’École ménagère provinciale de Montréal, et surtout de sa mère Marie (Lacoste). Féministe engagée, cette dernière est de plusieurs luttes, assumant la présidence de la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste (FNSJB) de 1913 à 1933, en plus de militer ardemment pour le droit de vote des femmes.
Conjugués à ceux d’autres femmes, ses efforts pour mettre sur pied une École d’enseignement supérieur, affiliée à l’Université Laval à Montréal, portent des fruits. Ils permettent à sa fille Marie de devenir la première Canadienne française à obtenir un baccalauréat ès arts en 1911. Son brio est tel que celle-ci termine même première aux examens pour les étudiants en arts des institutions francophones et catholiques. Il s’agit d’un symbole fort à cette époque où les femmes ne peuvent accéder aux universités d’ici. C’est d’ailleurs pour cette raison que la jeune Marie fréquente celle de Columbia, dans l’État de New York, afin d’étudier le service social.
Cet intérêt pour l’action sociale, que renforce un voyage en Europe en 1913, pave la voie à une vie chargée d’engagement. Marie Gérin-Lajoie écrit dans La bonne parole, le mensuel de la FNSJB, donne des cours, des conférences, fonde le service social de l’hôpital Sainte-Justine, préside la Fédération des cercles d’études des Canadiennes françaises, et quoi encore.
L’année 1923 marque un tournant. Celle qui est devenue sœur Marie Gérin-Lajoie fonde l’Institut des sœurs de Notre-Dame-du-Bon-Conseil à Montréal, au cœur du Plateau Mont-Royal. La formation familiale et sociale est au cœur de son action, comme la lutte contre les inégalités et les injustices sous toutes leurs formes. Une priorité qui ne la quittera jamais et qu’elle continue de faire avancer en participant, par exemple, dans les années 1930 à la création d’une École d’action sociale, puis de service social qui sera intégrée à l’Université de Montréal. Elle y enseignera pendant plusieurs années.
Le Québec prend un nouveau visage dans les années 1960 avec la Révolution tranquille. Une de ses figures de proue est le premier ministre de l’Éducation du Québec, Paul Gérin-Lajoie, un neveu de Marie. Les changements qui s’effectuent et l’émergence d’un féminisme portant de nouvelles revendications ont plusieurs conséquences, dont celle de reléguer quelque peu dans l’ombre le rôle joué par les communautés religieuses. Aussi, c’est dans un anonymat relatif que Marie Gérin-Lajoie, qui avait quitté la direction des sœurs de Notre-Dame-du-Bon-Conseil dans les années 1950, s’éteint à Montréal le 7 janvier 1971.
Serge Gaudreau, historien, École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke