Robertine Barry, une femme engagée (1863-1910)
Née d’un père irlandais et d’une Québécoise de l’Ile Verte, Robertine Barry a été la première journaliste féminine du Canada français et fut connue sous le nom de plume de Françoise. Ses idées libérales l’ont amené à revendiquer et lutter pour l’obtention de droits spécifiques pour les femmes, les ouvriers et les enfants, et à militer pour la laïcité dans une province où la religion occupait une grande place dans l’espace socioéconomique.
Son courage et sa détermination à mener ces luttes l’ont propulsé à l’avant-scène de la vie socioculturelle québécoise de son temps.
1. Célibataire pour ne pas devenir mineure en se mariant!
Quand les femmes de son époque se mariaient, elles devaient se soumettre, législativement parlant, à leurs maris et ne pouvaient, en aucun cas, divorcer : elles devenaient des mineures. Robertine Barry avait donc décidé de ne pas se marier afin de pouvoir exprimer librement et ce, sans le consentement d’un mari, ses idées libérales, allant jusqu’à accuser le clergé catholique de son ingérence dans l’organisation socioéconomique de la société. Ses positions, qualifiées de radicales par le clergé, lui valurent des remontrances non seulement de Mgr Bruchési, l’archevêque de Montréal, mais aussi d’éminents journalistes et politiciens comme Jean-Paul Tardivel et Henri Bourassa reconnus pour le conservatisme de leurs idées.
2. Des appuis bien sentis
Dénigrée par le clergé et certains journalistes et politiciens ultramontains qui souhaitaient que la doctrine de l’Église de l’époque soit bien appliquée en ce qui concerne la place de la femme au foyer, Robertine Barry fut soutenue par de nombreux journalistes comme Honoré Beaugrand le directeur du journal, La Patrie de Montréal et par des poètes et écrivains notoires comme Louis Fréchette, Émile Nelligan, Laure Conan, Marie-Gérin Lajoie. Ainsi, grâce au soutien de l’éditeur Honoré Beaugrand, elle eut l’occasion, de 1891 à 1900, d’avoir sa propre chronique hebdomadaire dans La Patrie. Elle fonda ensuite sa propre revue bimensuelle, le « Journal de Françoise » qui fut publiée de 1902 à 1909. Elle profita de ces tribunes pour amener ses lectrices et lecteurs à réfléchir non seulement sur la condition féminine, mais aussi à dénoncer les inégalités qui existaient dans les conditions de travail des ouvriers.
3. Une action sociale
Son engagement citoyen l’a amené aussi à prononcer quantités de conférences portant non seulement sur l’amélioration des conditions de vie des femmes et des enfants mais aussi celles des personnes âgées. Journaliste reconnue, elle fut parmi les fondatrices d’associations féministes comme la Canadian Women’s Press Club et l’Association des femmes journalistes canadiennes-françaises en 1904, puis la Fédération nationale de Saint-Jean-Baptiste (1907) présidée par Marie Gérin-Lajoie qui veillait à la défense des droits des femmes canadiennes-françaises.
Enfin, en 1910 elle procéda à la fondation du premier collège classique féminin, permettant ainsi aux femmes d’accéder plus facilement à l’Université.
4. Des honneurs bien mérités
Les revendications et les luttes de Robertine Barry furent reconnues tant au Québec qu’en France qui l’honora du titre d’Officier d’Académie en lui offrant les Palmes académiques pour son dévouement à la culture française. Le Premier ministre Wilfrid Laurier la nomma représentante officielle du Canada à différentes expositions universelles dont celle de Paris en 1900, de St-Louis en 1904, ainsi que celle de Milan en 1906. Au Québec, le Premier ministre Lomer Gouin la nomma, en 1909, inspectrice du travail féminin dans les manufactures.
Elle décéda à l’âge de 47 ans à la suite d’un AVC et fut inhumée au cimetière Notre-Dame-des-Neiges, à Montréal. Reconnaissons en elle la pugnacité de ses interventions afin d’améliorer le sort des femmes, des enfants et des ouvriers. Elle fait partie des personnages-clés qui ont provoqué des changements sociaux au Québec. Il faudra toutefois attendre la loi 16 votée en 1964, pour reconnaître la capacité des femmes à exercer des professions qui jusque là étaient réservées aux hommes, la possibilité de signer un contrat, de gérer leurs biens sans le consentement de leur mari…
Luc Guay, Ph.D
Professeur retraité de l’Université de Sherbrooke