L’hiver 1971 a eu sa tempête du siècle (le 4 mars), puis la boxe professionnelle son combat du siècle (Muhammad Ali-Joe Frazier, le 8 mars). Il n’est donc pas étonnant que l’on qualifie de « projet du siècle » le chantier titanesque que le premier ministre Robert Bourassa annonce le 30 avril, devant des partisans libéraux réunis au Colisée de Québec.
Le titre ne semble pas exagéré. Donnant suite à une réflexion amorcée dans les années 1960, le plus jeune premier ministre de l’histoire du Québec propose en effet à ses concitoyens de répondre à la demande croissante en énergie en mettant en branle un complexe hydroélectrique sans précédent : le harnachement de plusieurs rivières se déversant dans la baie James, dans le nord-ouest de la province, près de la frontière ontarienne.
La logistique prévue, sur un territoire estimé à 350 000 km2, a de quoi impressionner : aménagement majeur de plusieurs rivières, construction de centrales, d’aéroports, d’un port en eau profonde, de routes, de lignes de transmission, etc. Les chiffres avancés aussi : 125 000 emplois, dont 10 000 permanents, et des couts estimés entre 5 à 6 milliards de dollars, soient plus que les dépenses nettes de la province au budget 1971-1972.
Robert Bourassa présente sa démarche dans la continuité de la Révolution tranquille : « Nous sortirons de notre situation d’infériorité économique ». L’ampleur des sommes anticipées suscite toutefois des craintes. De plus, certains croient que l’énergie nucléaire constituerait une option d’avenir moins chère et plus productive.
Néanmoins, les choses s’accélèrent. Une filiale d’Hydro-Québec, la Société d’énergie de la baie James, est mise sur pied le 14 juillet avec la Loi 50 sur le développement de la région de la baie James. C’est peu après le début des premiers travaux sur une route dont le point de départ est Matagami.
Parallèlement à l’avancement des chantiers, de nombreux dossiers font les manchettes. Les revendications des Premières Nations, dont le mode de vie est directement affecté par le projet, ne seront dénouées qu’avec une convention signée avec le gouvernement le 11 novembre 1975. Des conflits de travail et des luttes intersyndicales perturbent également les opérations, un saccage survenu en mars 1974 faisant même des dégâts considérables.
Malgré cela, le projet progresse. Bien que défait aux élections du 15 novembre 1976, Robert Bourassa y restera associé de près. Il est présent lors de l’inauguration de la première centrale la Grande 2, en octobre 1979, qui avec les aménagements l’entourant portera éventuellement son nom. La production dépasse alors déjà les 10 000 mégawatts.
D’autres phases, réalisées par des dizaines de milliers de Québécoises et Québécois y ayant consacré une partie de leur vie, aideront à concrétiser le rêve formulé par le « père de la baie James » en 1971. Une vision conjuguant développement durable et progrès économique, lié notamment à d’importantes exportations aux États-Unis, et dont l’héritage a, malgré les critiques et les embuches, résisté à l’épreuve du temps.
Serge Gaudreau