Esther Wheelwright, née en 1696 à Wells dans la colonie du Maine (alors sous la juridiction de la baie du Massachusetts), connut une destinée exceptionnelle. Issue d’une famille puritaine, elle fut enlevée enfant lors d’un raid mené par des Français-Canadiens et leurs alliés abénaquis, puis élevée dans un univers à la croisée des cultures autochtone, française et britannique. Devenue religieuse chez les Ursulines de Québec, elle accéda au rang de Mère supérieure et joua un rôle essentiel au moment de la Conquête, grâce à son trilinguisme.
1. Une enfance marquée par la captivité
À l’âge de 7 ans, Esther fut enlevée avec six autres colons lors d’un raid franco-abénaquis. Elle grandit dans la culture des Abénaquis, entre les rivières Kennebec et Androscoggin (Maine). C’est là qu’un missionnaire français l’initia au catholicisme et la rebaptisa Marie-Joseph. Pendant un temps, des démarches officielles entre le gouverneur du Massachusetts et le gouverneur de la Nouvelle-France, Philippe de Rigaud de Vaudreuil, permirent son retour auprès de sa famille.
Mais, à 12 ans, répondant à l’invitation d’un missionnaire, elle rejoignit Québec. Accueillie par les Ursulines, elle choisit d’y rester malgré les tentatives répétées de ses parents pour la ramener. En 1714, elle prit le voile sous le nom de Marie-Joseph de l’Enfant-Jésus, au prix de luttes intérieures mais avec une conviction durable.
2. Une supérieure au temps de la Conquête
En 1760, dans le contexte de la guerre de Conquête, elle fut élue Mère supérieure des Ursulines, fonction qu’elle conserva durant neuf ans. Son origine britannique et son père, ancien colonel du Massachusetts, lui permirent d’établir des liens de confiance avec les autorités anglophones au lendemain de la chute de Québec.
Grâce à sa maîtrise des milieux anglais, français et abénaquis, elle facilita le dialogue entre vainqueurs et vaincus. Le couvent des Ursulines put non seulement maintenir sa mission éducative, mais aussi échapper aux pillages militaires. Durant les combats, les religieuses transformèrent le couvent en hôpital, soignant à la fois soldats français et britanniques.
3. Religieuse et diplomate
Après son mandat de supérieure, Esther demeura une figure d’influence. Au moment de l’Acte de Québec (1774), elle joua un rôle politique auprès de l’administration britannique, consolidant la survie et l’autonomie de la communauté ursuline.
Les Ursulines innovèrent aussi sur le plan économique : elles mirent en valeur et diffusèrent auprès des élites britanniques des objets issus de l’artisanat autochtone, notamment des broderies sur écorce de bouleau. Ce commerce contribua à éponger les dettes de la congrégation.
Esther Wheelwright s’éteignit à Québec en 1780, à l’âge de 84 ans, laissant l’image d’une femme au destin hors du commun, partagée entre trois cultures et reconnue pour son rôle de médiatrice.
Luc Guay, Ph.D
Professeur retraité de l’Université de Sherbrooke
