En février 1920 survint dans la paroisse Sainte-Philomène de Fortierville, un meurtre sordide et incroyablement brutal d’une petite-fille de 10 ans. Cette dernière devint immédiatement connue comme Aurore l’enfant martyre. Née en 1909, celle-ci était une des quatre enfants de Télesphore Gagnon et de Marie-Anne Caron. Mais cette dernière décéda en janvier 1918 et Télesphore se remaria une semaine plus tard à Marie-Anne Houde, veuve de Napoléon Gagnon. Jusqu’à partir de l’été 1919, Aurore demeura chez ses grands-parents. Mais avec son retour à la maison familiale, débuta un drame qui défie l’entendement.
- Une histoire de maltraitance
Marie-Anne Houde fit subir sans relâche des sévices à Aurore, la considérant comme une enfant difficile. Les coups de fouet, de bâton, voire même de manche de hache, pleuvaient sur son frêle corps, lui laissant des marques au visage, au dos, aux fesses, aux jambes et aux pieds. Non seulement Marie-Anne l’attache, mais elle alla jusqu’à la brûler avec un fer à friser, parfois même avec un tisonnier chauffé au rouge, tout en lui infligeant des tortures psychologiques. Pire encore. Sa belle-mère la forçait à manger du pain enduit d’un détergent à lessive et même, à une occasion, à avaler des excréments. Face à ces mauvais traitements, Aurore adopta une stratégie passive, ce qui enrageait encore plus sa belle-mère.
La maltraitance et les brûlures subies par Aurore étaient si graves qu’à l’automne 1919 elle dût être hospitalité pendant un mois à l’Hôtel-Dieu de Québec. Néanmoins, les autorités médicales locales, le curé de la paroisse et le juge de paix du district firent la sourde oreille à propos des sévices corporels subis par Aurore. En conséquence, les mauvais traitements infligés à Aurore par Marie-Anne reprirent immédiatement après son retour de l’hôpital.
- Une mort atroce et deux procès
Le médecin du village fut appelé le 12 février 1920 à la maison des Gagnon. Il trouva Aurore dans le coma. Celle-ci décéda dans la nuit. Il référa le dossier au docteur Albert Marois, médecin-légiste de Québec, pour la tenue d’une enquête du coroner et une autopsie. Il s’avéra qu’Aurore portait 54 blessures non soignées, qu’elle avait été empoissonnée et qu’elle était morte des suites des sévices corporels. C’est pourquoi le dossier fut transféré au ministère de la justice dès le 13 février. Deux jours plus tard, Marie-Anne Houde et Télesphore Gagnon furent arrêtés et cités à paraître dans deux procès distincts.
Les deux procès eurent lieu en avril à Québec devant une salle comble. L’opinion publique était exaltée par ce dossier accablant après que tous ces sévices corporels sadiques avaient été abondamment révélés lors de ces procès. Marie-Anne est rapidement reconnue coupable de meurtre, le jury ne retenant pas la défense de la folie. Elle est condamnée à la pendaison fixée au 1er octobre. Mais deux jours avant l’exécution de la sentence, elle voit sa peine commuée en prison à vie. En 1935, elle est libérée, souffrant d’un cancer qui l’emporta en mai 1936. Quant à Télesphore, il est reconnu coupable d’homicide involontaire et condamné à la prison à vie. Mais il ne purgea que cinq ans de sa sentence, étant libéré pour un cancer de la gorge en 1925. Télesphore vivra jusqu’en 1961.
- Une histoire tragique qui a marqué des générations
La vie tragique d’Aurore Gagnon transforma rapidement cette jeune enfant en une icône culturelle populaire au Québec. Les sévices effroyables qu’elle a subis devinrent gravés dans la mémoire collective des Québécois. Moins d’un an après son décès, une pièce de théâtre lui est consacrée. Encore dans les années 1950, son histoire inspira une pièce de théâtre qui suscita un véritable engouement avec ses 5 000 représentations au Canada et dans l’Est des États-Unis. Entre-temps, pas moins de dix livres furent publiés et deux films sont consacrés au mythe d’Aurore l’enfant martyre. De nombreux observateurs considèrent que son destin tragique contribua là la mise en place d’une politique concernant la maltraitance envers les enfants au Québec.
Gilles Vandal
Professeur émérite de l’Université de Sherbrooke