La fondation du quotidien Le Devoir est intiment lié à la vie d’Henri Bourrassa. Né en 1868, Bourrassa fut à la fois un éditeur, un journaliste et un homme politique marquant de l’histoire canadienne au début du 20e siècle. Petit-fils de Louis-Joseph Papineau, il s’avéra être aussi nationaliste canadien que son grand-père, héritant de la passion politique et de la fougue et des dons oratoires de ce dernier. Indigné par la pendaison de Louis Riel en 1885, cette question déclencha ses premières passions et suscita ses premiers engagements politiques.
C’est pourquoi il choisit comme profession d’être journaliste et éditeur. Dès 1892, Bourrassa devint « éditeur-propriétaire » de L’Interprète de Montebello, un hebdomadaire fondé en 1886. En 1895, il lança le journal ontarien Le Ralliement avant de devenir en 1897 le rédacteur en chef de l’influent quotidien montréalais La Patrie.
Pressé par Olivar Asselin et Mgr Paul Bruchési, Bourrassa se centra sur un plus grand objectif qui devint la mission de sa vie : doter le Canada d’un journal francophone indépendant de tout parti politique ou groupe financier. Le projet de la création du journal Le Devoir prenait forme autour de l’idée de forger une opinion publique éclairée en communiquant aux Canadiens une compréhension plus claire de la place du Canada dans l’empire britannique et de la préservation des droits des Canadiens-français face à la majorité anglo-britannique.
Priorisant le lancement d’un quotidien à caractère national, Bourrassa insista auprès des bailleurs de fonds, majoritairement conservateurs, pour qu’ils lui cèdent le contrôle de 50 % plus une des actions de la nouvelle compagnie afin d’assurer une indépendance complète au journal. Bourrassa s’entoura ensuite d’une solide équipe très expérimentée. Le Devoir publia son premier numéro le 10 janvier 1910. Publié d’abord dans un format de quatre pages, il passa graduellement à douze pages, avec un tirage passa de 12 500 exemplaires en 1910 à 13 500 en 1930. Tous les articles étaient signés par Bourrassa, les journalistes ou ses collaborateurs.
Mu par une force morale hors du commun et un engagement catholique et nationaliste sans faille, il fit du nouveau quotidien un journal d’idées et de principes. Dans son premier éditorial, il affirmait clairement sa ligne directrice: « Nous prendrons les hommes et les faits un à un et nous les jugerons à la lumière de nos principes. » En dépit de ressources financières limitées, Le Devoir se démarqua comme un des journaux les plus influents et prestigieux du Québec. Par son style clair et concis et la rigueur de sa pensée, Bourrassa imprégna dans Le Devoir les idées qu’il avait développées dans sa vie publique. À travers Le Devoir qui fut sa plus grande réalisation, Bourrassa émergea comme le plus grand intellectuel canadien-français du début du 20e siècle.
Sous la gouverne d’Henri Bourrassa, Le Devoir joua un rôle de premier plan dans la promotion d’une vision biculturelle du Canada et d’un nationalisme canadien. En cela, Bourrassa, ainsi que Le Devoir, devinrent à partir des années 1920 la cible des nationalistes québécois qui défendaient plutôt la création d’un État laurentien distinct et indépendant. Cette divergence entre ces deux grands courants nationalistes allait perdurer jusque dans les années 1980, moment où Le Devoir soutient finalement la création d’un État québécois séparé.
Gilles Vandal
Professeur émérite de l’Université de Sherbrooke