- Un système visant le développement du territoire
Le régime seigneurial, un système semi-féodal, fut établi en Nouvelle-France en 1627 par le cardinal Richelieu comme un instrument privilégié de colonisation du territoire. Ce système, en important les traditions féodales française en Amérique, établissait une structure unique de distribution des terres et de production agricole qui eut une profonde marque sur le développement du tissu social et économique de la colonie. Divisées en longues étendues de terre étroites, de 8 à 16 km de largeur sur 8 à 24 km de longueur, les seigneuries étaient alignées le long du fleuve Saint-Laurent et autres voies navigables importantes pour faciliter au maximum l’utilisation des voies navigables naturelles comme moyen de communication et de commerce afin de garantir que chaque domaine aie un développement économique harmonieux. En effet, l’accès au fleuve et aux rivières représentait un aspect vital pour assurer l’irrigation, le transport des marchandises et des récoltes et la circulation des indvidus.
- Des privilèges et des devoirs réciproques
Tout en jouissant d’une position de privilège social et économique, le seigneur avait l’obligation de s’assurer de rendre sa seigneurie productive et de défendre la colonie au nom du roi, stipulant qu’elle pouvait être confisquée si elle n’était pas défrichée dans un certain délai. En contrepartie, il bénéficiait du loyer annuel que les censitaires (les paysans) devaient lui verser pour la location des terres qui s’étendaient généralement sur 3 arpents de large (175 m) sur 30 arpents de long (1,75 km). Ces derniers devaient également participer à des corvées pour l’entretien des routes, des moulins à farine et autres projets communautaires. Basée sur des obligations réciproques, la relation entre les seigneurs et leurs censitaires était mutuellement avantageuse. Ce système foncier assurait à la fois la stabilité sociale, la croissance démographique et le développement économique de la colonie en permettant l’accroissement de la richesse et de la productivité.
- Un système trop rigide qui limitait le développement de la colonie
Si le régime seigneurial a joué un rôle crucial dans le façonnement de la société rurale québécoise, la consolidation des communautés locales et la survie de la culture française au Canada, ce système s’avéra toutefois trop rigide à mesure que la colonie se développait. Déjà au milieu du 18e siècle, les tensions devinrent apparentes alors que les droits seigneuriaux devinrent un fardeau social pour de nombreux habitants en limitant le développement des fermes et l’initiative économique des plus entreprenants favorables à une plus grande insertion de la colonie aux marchés d’exportation. C’est dans cette optique que des pressions grandissantes apparurent au début du 19e siècle pour son abolition.
- Un mouvement populaire pour l’abolition des seigneuries
Le système seigneurial ne connut pas de véritables modifications pendant deux siècles. Ce n’est qu’en 1825 que le parlement britannique tenta d’harmoniser le régime seigneurial avec la pratique britannique de propriété foncière. Entre-temps, des juristes canadiens-français, ayant en tête Louis-Hippolyte Lafontaine, devinrent les figures de proue du mouvement de l’abolition du régime seigneurial. Une première tentative d’abolition du régime seigneurial par l’Assemblée législative du Canada échoua en 1845. Mais en 1854, le mouvement réformiste obtint finalement l’adoption d’une loi abolissant le système seigneurial par l’Assemblée législative du Canada. Cependant l’abolition des privilèges et droits seigneuriaux allait s’effectuer de manière ordonnée et s’étendre dans le temps, allouant aux seigneurs une juste compensation financière.
En 1928, l’Assemblée législative du Québec exigea une compilation de tous les renseignements concernant les redevances dues par les municipalités aux anciens seigneurs. De plus, en 1935, l’Assemblée législative du Québec adopta une loi abolissant les rentes seigneuriales afin de « faciliter l’affranchissement de toutes les terres ou lots de terres des charges de rente ». Les derniers droits de rentes furent finalement payés en novembre 1940.
Gilles Vandal, Ph.D
Professeur émérite de l’Université de Sherbrooke