Maurice Duplessis et la loi fiscale – 1954

  1. Transfert de l’impôt provincial au fédéral

En vertu des articles 91.3 et 92.2 de l’Acte britannique de l’Amérique du Nord, le pouvoir de percevoir des impôts est un pouvoir partagé entre les paliers gouvernementaux du fédéral et des provinces.  En ce qui concerne le Québec, un impôt provincial sur les sociétés avait été instauré en 1932 pour rendre la province plus autonome. Or, confronté à l’augmentation des dépenses liées à la guerre, le premier ministre William Lyon Mackenzie King demanda aux provinces de céder temporairement ce pouvoir au fédéral, y compris la perception des impôts couvrant les dépenses provinciales. Aussi, le premier ministre Adélard Godbout acquiesça à cette demande en échange de quoi le Québec, comme les autres provinces, allait recevoir un transfert de fonds pour s’acquitter de ses responsabilités. 

  1. Duplessis veut récupérer l’impôt provincial 

Or, Maurice Duplessis qui avait gouverné le Québec de 1936 à 1939, était de retour au pouvoir en 1944. Selon lui, la perception des impôts par le gouvernement fédéral représentait une subordination des provinces. Il était donc déterminé à faire annuler cette mesure. Mais il fut confronté à une résistance des autres gouvernements provinciaux qui trouvaient cela très pratique  de laisser le gouvernement fédéral percevoir les impôts. Néanmoins, Duplessis était déterminé à revenir à la situation qui prévalait avant la Seconde Guerre mondiale. Très nationaliste, il jugeait que le gouvernement fédéral n’était pas le père des provinces, mais la créature de celles-ci. Aussi, considérait-il essentiel l’idée que le Québec puisse contrôler ses propres impôts comme moyen de mettre fin au centralisme croissant d’Ottawa. 

Or, durant les années d’après-guerre, le gouvernement fédéral refusa d’abandonner la responsabilité de perception des impôts, y voyant une occasion en or d’élargir ses champs de responsabilités en envahissant ceux des provinces comme la construction des autoroutes, l’éducation, la santé ou les services sociaux. Si en 1947 Duplessis put reprendre le contrôle de la perception des impôts sur les sociétés en échange d’une baisse de l’impôt fédéral, le différend sur les champs de compétences et la perception des impôts avec le Québec devint particulièrement palpable avec l’arrivée au pouvoir du premier ministre Louis St-Laurent en 1948. 

  1. Duplessis récupère l’impôt provincial au grand dam du Fédéral

Aussi, en 1953, Duplessis créa une Commission royale d’enquête, la Commission Tremblay, avec comme mandat d’étudier la question des relations fédérales-provinciales du point de vue fiscal afin de contrer la politique centralisatrice d’Ottawa. Cette Commission était présidée par Thomas Tremblay, juge en chef de la Cour du Québec, un vieil ami du premier ministre et un partisan des conservateurs du Québec. Duplessis n’attendit pas le dépôt du rapport Tremblay en 1956 pour agir. Il fit voter dès février 1954 une Loi sur l’impôt provincial qui permettait au gouvernement du Québec de percevoir lui-même l’impôt du revenu des particuliers. Par cette loi, croyait-il, la province serait mieux en mesure de gérer ses propres dépenses. En conséquence, les résidents du Québec, les seuls au pays à cumuler deux niveaux d’imposition, commencèrent dès lors à produire deux déclarations de revenus par an. 

Alors que les échanges entre Duplessis et St-Laurent sont qualifiés officiellement de franches et cordiales, le Premier Ministre du Canada donne une version différente à la presse anglophone, déclarant que le Québec n’aurait pas de traitement spécial. Ottawa n’était pas disposé à laisser tomber la question sans se battre. Mais Duplessis insiste pour que le Québec soit complètement exempté de l’impôt fédéral. Fort du rapport de la Commission Tremblay, Duplessis obtient en 1956 le contrôle de ses propres impôts, laissant cependant sa propre part au gouvernement fédéral. Le fédéral fixait alors son taux d’impôts à 5% comparativement à 10% pour le Québec. Par ailleurs, une série de conférences fédérales-provinciales allaient forger une entente qui donna naissance à la péréquation. Ainsi, grâce à Duplessis, toutes les provinces conservaient une entière liberté de taxer leurs contribuables.

 

Gilles Vandal, Ph.D
Professeur émérite de l’Université de Sherbrooke

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3e trimestre 2024, Régime canadien